ILSE

Bruno Duplant/Lee Noyes/Anders Dahl/Christian Munthe/Massimo Magee - 9 times 5 (Ilse, 2012)

A partir d'une courte partition graphique de Bruno Duplant, cinq musiciens proposent une musique électroacoustique entre improvisation et composition (Bruno lui-même, les compositeurs et musiciens électroacoustiques Lee Noyes et Anders Dahl, le guitariste Christian Munthe et le saxophoniste Massimo Magee). Il y a bien une une partition à la base, avec quelques contraintes indiquées (comme "respecter les idées d'espace, de silence, tout en ne jouant jamais fort"), mais les dessins qui la composent laissent une grande marge à chaque musicien (qui viennent pour la plupart de la musique improvisée plus que de la musique écrite et savante). Traits, pointillés, spirales, blancs, sont sans référents musicaux sur la partition, c'est à l'imagination de chacun d'interpréter le système de notation de Duplant. Il s'ensuit donc une musique tout de même grandement improvisée avec quelques directives, quelques idées à respecter et à se rappeler durant l'interprétation/lecture. Une musique calme, électroacoustique, pointilliste et post-réductionniste, qui n'est pas sans rappeler certains projets de Keith Rowe par moments. Des bruits épars surgissent, aux sources confuses, électroniques par endroits, quand ce ne sont pas des objets ou une guitare. Je ne sais pas, ça aurait peut-être mérité d'être plus calme, plus silencieux et espacé, en tout cas on ressent parfois un manque de radicalité, car l'attention semble parfois trop portée sur le timbre et les textures au détriment de l'espace sonore. Mais pour ce qui est des textures et de l'interaction, ça marche très bien par contre, les textures sont propres, travaillées, minutieuses, et inventives surtout. L'écoute est sensible et délicate. Tout pour faire une bonne improvisation, plus qu'une bonne interprétation d'une partition. Après, si on fait abstraction de cette dichotomie qui n'a pas lieu d'être dans ce genre de musique, il faut dire que lorsqu'on prend 9 times 5 pour elle-même, en tant qu'une pièce musicale (qu'elle soit écrite et interprétée ou improvisée, peu importe, je parle seulement de la musique, abstraction faite de son origine écrite), il s'agit de 45 minutes de créativité et d'inventivité au niveau des couleurs, de poésie sonore abstraite plutôt jouissive, avec tout de même une notion de l'espace qui laisse place à chacun et à l'interaction. A y réfléchir, c'est juste le silence qui me manque lorsque j'écoute ce type de pièce je pense, un silence qui donnerait encore plus de puissance aux trouvailles sonores de chacun. Très bien, mais un poil trop d'activités.

oceans roar 1000 drums (Ilse, 2012)

Oceans roar 1000 drums est le nom d'un trio américain composé de Todd Capp (batterie, cymbales), Bryan Eubanks (électronique et saxophone soprano) et Andrew Lafks (électronique et contrebasse). Un projet aux confins du free jazz et de la noise. Comme Sun Ra aurait pu le rêver. 45 minutes extrêmement puissantes d'improvisations collectives interstellaires. Deux pièces essoufflantes, monumentales, chaotiques, où l'électronique est en connexion avec les astres tandis que la batterie très terrestre permet - sans relâche - à chacun de rester en liaison avec la Terre. Je ne sais même plus si on peut vraiment appeler ça du free ou non - et peu importe certainement - tellement ça me paraît autre, étranger, et singulier. Mais si j'accepte que ça en est, c'est un des disques de free les plus innovants que j'ai entendu depuis quelques temps; de même si j'entends ce disque comme un disque de noise, de noise improvisée disons. Il y a bien les instruments du traditionnel trio de jazz et de free (sax/contrebasse/batterie), mais - parce qu'il y a toujours un mais après une quelconque référence - chacun est noyé dans la gigantesque masse sonore formée par le trio. Todd Capp n'y est pas pour rien, sorte de pieuvre hystérique et de tsunami métallique qui n'est pas le dernier à noyer le trio dans un flux permanent et chaotique de peaux et de cymbales. A ses côtés, un soprano étrangement modifié qui ressemble plus à un synthé modulaire, et de l'électronique omniprésent. De l'électronique sur fréquences radios parfois, improvisations électromagnétiques et électroacoustiques avec des objets usuels, du matériel analogique et extraterrestre. Transe divinatoire en hommage au free jazz et au cosmos semble-t-il, longue danse possessive en connexion directe avec un au-delà électronique, un monde où des signaux électriques endiablés dansent autour d'un feu de percussions, où les hallucinations prennent le pas sur le réel et nous plongent dans un territoire sonore bouillonnant, énergique, chaotique, surpuissant et exotique! Très bon.

Tom Hamilton/id m theft able/If, Bwana - MegaWHAT? (Ilse, 2011)

Autre trio de musique improvisée électroacoustique plutôt barrée et surprenante. Avec trois musiciens expérimentaux qui flirtent aussi bien avec la noise, que la musique improvisée ou le dadaïsme: Tom Hamilton (electronicatrons), id m theft able - Scott Spear de son vrai nom (emphatic voice, unknown electracousmatics) et If, Bwana - Al Margolis (violon, clarinette, voix, guitare synthétiseur Korg). Quatre pièces donc d'improvisations qui jouent beaucoup sur les collages, l'étonnement et la surprise. Une musique fracturée, énergique, hystérique, et inventive. Sans cesse, les trois musiciens réinventent leur musique et refusent de se complaire dans une esthétique précise. On pourrait parler de musique indéterminée, mais pas dans le sens entendu dans la musique savante. Il s'agit plutôt d'une esthétique indéterminée, tout en collage et en rupture. Les directions sont floues, elles ne cessent de changer, de se coller les unes aux autres. On ne sait jamais trop où on est et surtout où ces trois bricoleurs nous emmènent. Musique électronique, électroacoustique, improvisée, acousmatique, collage sonore, art/poésie sonore? Rien de tout ça et tout à la fois. Vous voilà bien avancés hein? Ce que je peux vous dire, c'est que c'est puissant, explosif, énergique, et très inventif.