Wandelweiser und so weiter: Drifts (another timbre, 2012)

Sur ce troisième disque, et pas des plus faciles d'accès, trois pièces assez proches basées sur la répétition. Musiques répétitives qui n'étirent plus le temps, mais l'annihilent. Répétitions extrêmes et radicales, obsessionnelles et possiblement anxiogènes. Vous voulez un exemple? 2 ausführende (seiten 357-360) de Manfred Werder, interprété par Tim Parkinson et James Saunders avec des tuyaux d'orgue. Plus précisément, avec deux tuyaux d'orgue, séparés par un demi-ton chacun... Un accord minimaliste et arpégé d'une seconde mineure répété durant une demi-heure. Deux notes, deux demi-tons, d'une durée à peu près égale mais jamais identique, et séparées par des intervalles de silence irréguliers. Une pièce extrême, aérienne et tout en apesanteur, où l'attente d'un changement ne sera jamais comblée. Une œuvre où le temps devient durée éternelle, devient aboli et réduit à une pure durée sans référent. Voilà pour la conclusion de ce disque. Passons à l'ouverture maintenant, également interprétée par le duo Parkinson/Saunders: 't' aus 'etwas (lied)' composé en 1995 par Antoine Beuger. Il s'agit là d'une pièce de dix minutes consacrée uniquement à la consonne "t" (et au silence, toujours). Parkinson et Saunders émettent un "tétaiement " interrompu par de courts silences et tentent de donner un sens à cette lettre autonomisée. Beuger semble ici vouloir réduire la chanson (lied) à son fondement, une lettre seule dépourvue de mélodie, de structure, de tonalité et de rythme. Épreuve échouée à mon goût pour cette pièce qui s'écoute difficilement et peut même devenir irritante. La dernière pièce consacrée en grande partie à la réduction du matériel tonal et à la répétition est Vier, 1-12 du violoncelliste Stefan Thut. Cette œuvre, ma préférée de ce disque, est interprétée par le quatuor Angharad Davies (violon), Julia Eckhardt (alto), Stefan Thut lui-même et Dominic Lash (contrebasse). Moins systématique et formelle que les deux pièces précédentes, celle-ci propose des notes répétées et assemblées selon différentes combinaisons possibles (seules, à deux, trois ou quatre) durant un peu plus de vingt minutes. Il y a un aspect répétitif, le matériau sonore est réduit au minimum, mais la pièce est en constant mouvement, il y a une tension palpable à l'intérieur de cet espace sonore onirique où on ne sait jamais ce qui surviendra. C'est très répétitif et minimaliste sans jamais être redondant en somme, chaque intervention est une surprise et paraît épiphanique. Une œuvre interprétée en plus avec une précision, une attention, et une sensibilité grandioses (je crois bien en même temps que la violoniste Angharad Davies fait partie de mes interprètes favorites de ce coffret avec son archet minimaliste qui écorche les cordes de manière non-expressive).

On trouvera également deux autres pièces sur ce disque qui semblent nous aérer des espaces répétitifs et silencieux des trois œuvres précédemment citées. Il s'agit tout d'abord d'une pièce de Jason Brogan (dont je n'avais encore jamais rien entendu me semble-t-il) intitulée sobrement Ensemble et interprétée par crys cole, James Drouin, Lance Austin Olsen et Mathieu Ruhlmann, quatre musiciens crédités à l'électronique. Un bruit blanc entremêlé de sinusoïdes et de parasites discrets, une sorte de nappe assez proche des fréquences radios connues de tous. C'est plutôt statique mais tout de même entrecoupé de micro-évènements. Je ne sais pas trop où ils veulent en venir, ni où ils vont ni d'où ils sont parti. En tout cas, la pièce repose un peu rapport au reste du disque et elle est plutôt agréable mais si elle manque de profondeur. Et enfin, une autre pièce de James Saunders intutlée with the same material or still, to vary the material. On retrouve ici de nombreux interprètes habitués de ces œuvres, à savoir: Neil Davidson, Rhodri Davies, Jane Dickson, Patrick Farmer et Dimitra Lazaridou-Chatzigoga, tous crédités cette fois aux objets frottés. Il s'agit là aussi d'une longue nappe, moins statique, et composée uniquement d'objets frottés par un archet. Métal, plastique, papier, bois, peaux, toutes sortes de matériaux sont mis en résonances pour former un tout assez unifié et en mouvement constant. James Saunders continue d'explorer le son dans toute sa profondeur et de manière radicale avec cette pièce purement sonore, concentrée sur une matière abstraite et des textures abrasives, froides et étrangement expressives.

[à suivre]