Improvisations Orchestrales



IKB – Monochrome bleu sans titre (Creative Sources, 2012)

L’IKB (nommé ainsi d'après la série de peinture d'Yves Klein - International Klein Blue) est un collectif portugais de quatorze musiciens, habitués pour la plupart du label CS et proche du cercle qui gravite autour d’Ernesto Rodrigues. Ce dernier quitte ici son alto pour explorer la harpe et l’intérieur du piano, et à ses côtés, on retrouve Guilherme Rodrigues (violoncelle), Miguel Mira (contrebasse), Rogério Silva (trompette), Eduardo Chagas (trombone), Bruno Parrinha (clarinette et clarinette alto), Nuno Torres (saxophone alto), Pedro Sousa (saxophones ténor et baryton), Abdul Moimême (guitare électrique préparée), Carlos Santos (ordinateur et microphone), Ricardo Guerreiro (ordinateur), Nuno Morão (percussion), Monsieur Trinité (percussions) et José Oliveira (percussion).

Les quatre pièces proposent des versions différentes d’une musique identique à elle-même. Une musique lente, calme, posée et abstraite. Une musique qui glisse insensiblement d’une matière abstraite à une autre par micro-variations. Tout ici se joue ici à l’échelle microscopique, des écarts entre les notes et les sons à la présence des musiciens qui effacent leurs instruments derrière de la matière sonore pure. Les instruments se distinguent assez bien, mais ne se hiérarchisent pas, tous ont ici pour fonction de produire des textures sonores avant tout. Ordinateurs, instruments traditionnels et préparés ne se confondent pas mais plongent sans concession au plus profond du son, dans ses propriétés souvent les plus abstraites. D’où, comme vous pouvez vous en douter, une effervescence de registres extrêmes, de techniques étendues, de notes jouées de manière machinale et neutre, de sons abrasifs et longs qui vont des peaux raclées à l’émission de salive dans les cuivres et toutes sortes de souffles spectraux.

Je ne suis pas un grand fan des travaux d’Ernesto Rodrigues avec ce genre d’ensemble très large, mais quand même, il y a toujours quelque chose de très surprenant. Car avec des formations réduites, il peut produire une musique abstraite et minimale dans la veine d’un réductionnisme radical, une musique aérienne, légère, calme, posée, au niveau de l’atmosphère et de la durée; et abrasive ou corrosive, bruitiste en somme, mais aussi collective et cohérente, au niveau du son. Et toutes ces qualités se retrouvent dans les grands ensembles qui parviennent à produire une musique aussi calme et aérée – si ce n’est plus parfois – qu’un trio ou un quartet instrumental. Le résultat est donc tout de même toujours étonnant.


Glasgow Improvisers Orchestra – Poetics (Creative Sources, 2009)

Encore une fois Ernesto (violon alto) et Guilherme Rodrigues (violoncelle) sont de la partie, invités cette fois-ci par le Glasgow Improvisers Orchestra (GIO). Un ensemble d’improvisateurs d’une taille très importante, qui regroupe ici 18 musiciens en plus des improvisateurs portugais. Soit Richard Bamford (batterie, percussions), Stuart Brown (batterie, percussions), John Burges (clarinette basse), George Burt (guitare acoustique), Matthew Cairns (trompette), Aileen Campbell (voix), Neil Davidson (guitare électrique), Nick Fells (shakuhachi), Krzystof Hladowski (bouzouki), George Lyle (contrebasse & voix), Raymond McDonald (saxophones soprano & alto), George Murray (trombone), Peter Nicholson (violoncelle & voix), Emma Roche (flûte & flûte baroque), Matthew Studdert-Kennedy (flûte), Armin Sturm (contrebasse), Jessica Sullivan (violoncelle) et Graeme Wilson (saxophones ténor & baryton). Une liste de musiciens et d’instruments imposantes où percussions, violoncelle, flûte, contrebasse sont doublés, voire triplés pour le violoncelle.

Un orchestre imposant par son nombre et son instrumentation, et qui veut justement jouer de sa largeur. Le GIO propose en effet quatre improvisations (dont une structurée par Raymond McDonald) qui ne lésinent pas sur l’utilisation des masses sonores. Le son est effectivement massif, large, lourd. On retrouve l’esprit des orchestres d’Alan Silva avec une section rythmique assez puissante et une forme d’improvisation plutôt énergique et réactive. Ce n’est pas non un long crescendo ni une suite d’improvisations ultra intenses qui ne se terminent jamais, le GIO sait aussi jouer sur différentes intensités et erre par moments sur des atmosphères plus calmes et aérées. Mais dans l’ensemble, le GIO se maintient plutôt dans les « dogmes » de l’improvisation libre : atonalité, importance des fractures au niveau de l’intensité, utilisation récurrente de techniques étendues, structure éclatée et opaque, jeux réactifs de question/réponse entre les musiciens, interventions aussi éphémères que fortes, plaisir à s’immerger parfois dans un chaos collectif rythmique et mélodique où il faut jouer le plus fort possible.

En somme, le GIO, accompagné des Rodrigues, propose ici quatre improvisations libres non-idiomatiques plus traditionnelles, quatre pièces qui semblent moins marquées par l’influence de l’eai et du réductionnisme (par rapport notamment à IKB ou au TonArt). Fait important déjà, l’absence d’électronique et d’ordinateurs, qui n’est pas sans contribué à cet aspect plus traditionnel, mais au-delà de cette remarque instrumentale, les musiciens du GIO semblent directement connectés aux formes habituelles de l’improvisation libre et se complaisent dedans. Voilà, je ne trouve pas ça extraordinaire, c’est une musique assez commune, mais ces Poetics restent quand même un exemple réussi d’improvisation libre non-idiomatique à échelle orchestrale. Une musique quand même puissante et talentueuse, qui peut à coup sûr ravir les amateurs et les férus d’improvisation collective comme on l’entend depuis le Free Jazz d’Ornette et les orchestres d’Alan Silva. Et ce n’est qu’une influence, car la sonorité de cet orchestre et des musiciens pris individuellement est tout de même résolument contemporaine, ainsi que certaines formes présentes (je pense notamment à la deuxième pièce, plus calme et abstraite, mais aussi mois réactive et énergique que les précédentes, ainsi qu’à la dernière, une suite de miniatures aux allures dadaïstes...).