diafani

Pour une fois, les deux pièces présentes sur ce double disque ne sont ni composées ni interprétées par Eva-Maria Houben (même si elle est dédicataire d'une des deux aux côtés de Jakob Ullmann). Là où nos rêves... est une composition de Bruno Duplant pour orgue et environnement sonore, enregistrée et interprétée par lui-même. Il ne s'est pas passé tant de temps depuis que j'ai découvert Bruno, mais il ne cesse d'évoluer et de surprendre. Si je l'ai découvert comme contrebassiste de free-jazz, il s'est maintenant beaucoup plus orienté vers l'art sonore, les partitions graphiques, Wandelwseiser, et la musique minimaliste.

Il présente ici une double composition, deux pièces assez proches d'une heure chacune. Deux pièces très calmes et minimales, donc autant dire tout de suite que l'écoute est assez éprouvante. Sur les deux parties, on a affaire à une longue plage de vagues d'orgue, des notes seules qui apparaissent et disparaissent tout en étant enrichies de sinusoïdes et de bruits blancs très faibles et discrets, qui forment une atmosphère sonore très particulière. La première partie intitulée là où nos rêvent se forment est la plus agitée, les notes arrivent par vagues et changent assez souvent (de fréquence, d'intensité, de volume..) ; et quelques interventions incongrues surviennent au milieu de la pièce. Ça se joue à peu de choses mais j'ai un peu de mal avec cette partie. La deuxième (là où nos rêves s'effacent) devient vraiment intéressante avec ses répétitions de notes qui semblent se confondre avec des sinusoïdes, des fréquences médiums qui arrivent par vagues avant que les graves arrivent et forment une nappe continue qui n'évoluera que très peu. Mais ce minimalisme radical rend la deuxième partie beaucoup plus envoutante et prenante, on se laisse beaucoup plus facilement immerger dans ce flux sonore continu et plus monolithique. Il est envoutant parce qu'il y a tout de même de micro-variations qui le font vivre : des soutiens électroniques très discrets mais qui font tout. 

Une longue composition proche du drone minimaliste pour un orgue qui se confond avec son environnement. Les deux pièces nous plongent en tout cas dans une sorte de flou où l'instrument et l'environnement artificiel se confondent en une masse sonore délicate et massive, obsédante et prenante.

                                                                                                                                                                                                  

Pour finir, quelques mots sur un autre disque d'Eva-Maria Houben, intitulé Decay. J'ai déjà dit sur les autres chroniques à quel point Houben pouvait être fascinée par le processus de dissolution du son dans le temps et l'espace. Ce n'est donc pas étonnant qu'elle intitule une de ses compositions decay, une composition encore une fois dédiée à l'évanouissement du son à l'orgue et au piano.

Sur ce disque d'une heure, on entend deux sortes de préenregistrements, une note basse à l'orgue jouée très très faiblement, et de nombreuses notes de piano. Le son de l'orgue est toujours continu, mais il n'est pas toujours présent, on ne sait pas quand est-ce qu'il rentre ni quand est-ce qu'il s'éteint, on se rend seulement compte de sa présence alors qu'il est déjà entré sur scène. Car ce qui attire l'attention avant tout, c'est la suite de notes seules au piano qui font constamment irruption, de manière continue et tr-s espacée. Une note très basse, puis médium, puis une extrêmement grave, une aigüe, une suraiguë, tout y passe. Une note, une attaque plus ou moins forte, un maintien plus ou moins étouffé de la note, et c'est ensuite que tout se déroule. Contrairement à beaucoup de pianistes, Houben concentre avant tout son jeu sur la résonance de la corde plutôt que sur l'attaque, autrement dit, ce qui compte sur une ronde par exemple, c'est ce qui se passe après le quatrième temps et avant le début de la prochaine note, ce que beaucoup de pianistes et d'instrumentistes en général ont tendance à oublier.  Parfois ces notes et ces résonances sont soutenues et rentrent en dialogue avec la basse de l'orgue, parfois elles sont seules. Mais à chaque fois, la résonance prend une forme inattendue et incontrôlable, elle est parfois soutenue par des cordes sympathiques, parfois c'est le bois du piano qu'on entend surtout, ou les harmoniques pures qui se dégagent lentement de la note, etc. C'est pourquoi le silence chez Houben n'en est jamais vraiment. Il ne s'agit pas d'un silence artificiel, ni de l'intégration de l'environnement (même si certains oiseaux transparaissent par moments), mais surtout de la possibilité laissée au son lui-même de se déployer dans son intégralité.

J'aime encore beaucoup cette pièce, mais je dois avouer que sa longueur peut être rebutante. Mais hormis ça, le choix des enregistrements est judicieux (les notes ne s'opposent pas toujours ni se suivent de manière cohérente et linéaire) et l'interprétation est très sensible, révérencieuse, et subtile.